FRANCK (C.)

FRANCK (C.)
FRANCK (C.)

La trop grande richesse de la musique française est peut-être responsable du malentendu dont reste victime Franck, d’abord adulé puis traînant l’image du «Pater Seraphicus», quelque peu aspergée d’eau bénite, due à ses disciples qui croyaient défendre leur maître devant la vague novatrice qui lui succéda. Le respect qu’il a toujours suscité a relégué au second plan le tempérament complexe de ce musicien, belge de cœur mais profondément français, dont la pudeur voile souvent les véritables sentiments, un musicien dont la richesse et la diversité de la création montrent qu’il n’était pas seulement un chef d’école, comme le présentent maints ouvrages de référence.

L’oppression

Le 10 décembre 1822, César Auguste voit le jour à Liège. Dès 1835, il se lance à la conquête de la capitale française, où il est l’élève d’Anton Reicha et de Pierre Zimmermann. Au Conservatoire, il travaille le contrepoint avec Aimé Leborne et l’orgue avec François Benoist. Toute sa carrière se déroulera en France, à l’exception d’une brève tournée en 1842. Lorsqu’il arrive à Paris, il est chaperonné par un père tyrannique dont le seul but est de transformer ses deux fils (César, l’aîné, et Joseph, le cadet) en enfants prodiges. Pour entrer au Conservatoire, les formalités de naturalisation sont vite expédiées; quant aux études, certaines ne seront jamais achevées tant l’impatience du père est grande. Des campagnes publicitaires «orchestrent» des récitals au goût de l’époque, au cours desquels le jeune César côtoie les plus grands virtuoses de son temps: Liszt, Alkan... Bientôt, il y joue ses premières œuvres, des fantaisies à la mode. Une première parenthèse dans la tutelle paternelle va s’ouvrir avec les trois Trios concertants pour piano, violon et violoncelle op. 1 (1841), qui lui valent l’amitié et les encouragements de Liszt. Mais le père-imprésario ne voit pas d’un bon œil ces essais hors des sentiers battus. La mode est aux fantaisies de concert et paraphrases sur des airs d’opéras, où doit briller la virtuosité de l’interprète.

Une seconde parenthèse se présente en 1844 avec Ruth , églogue biblique pour soli, chœur et orchestre. L’année précédente, Franck avait déjà composé un opéra en trois actes, Stradella , et l’oratorio semble une suite naturelle pour ce jeune homme qui cherche sa manière propre. Par ailleurs, sa rencontre récente avec Gounod l’a poussé sur les chemins de la Bible, où il reviendra souvent. L’année 1846 marque la fin de la tutelle paternelle: César avait jusqu’alors accepté les directives de son père sans que les circonstances ne l’incitent à les discuter. Mais il s’éprend d’une de ses élèves, Félicité Desmousseaux. Le climat change vite, et une dédicace peu appréciée par le père met le feu aux poudres. César quitte le domicile paternel. Deux ans plus tard, au milieu des barricades de la révolution de 1848, il épouse Félicité.

Sa vie devient celle d’un modeste professeur de musique, dont les ressources ne permettent pas une vie aisée. Organiste à Notre-Dame-de-Lorette en 1847, puis à Saint-Jean-Saint-François du Marais en 1851, il est nommé titulaire du nouveau Cavaillé-Coll de Sainte-Clotilde en 1857 et professeur d’orgue au Conservatoire en 1872. Homme bon, trop discret pour rechercher la notoriété ou le succès, il se contente d’une vie paisible un peu en marge de la réalité, sur laquelle s’est créée la légende du «Pater Seraphicus». Les véritables chefs-d’œuvre ne voient le jour qu’après 1870, à l’époque où se forme autour de lui une pléiade d’élèves (Duparc, d’Indy, Chausson, Bordes), qui feront rayonner un enseignement fondé sur la musique, l’expression et la beauté, plutôt que sur une technique rigoureuse et froide.

Un romantique

César Franck a été catalogué comme organiste et musicien d’église, mais une connaissance objective de son œuvre ne doit jamais perdre de vue les années de jeunesse, passées sous l’autorité d’un père tyrannique. Le jeune César n’avait pas un caractère à s’affirmer et il ne l’aura jamais. Plus tard, sa femme ou ses élèves choisiront pour lui ou le pousseront à prendre les décisions importantes. Timide de nature, il y a pourtant en lui une passion qui ne demande qu’à s’épanouir, mais que sa pudeur entrave. Avec l’oratorio, il trouvera le moyen de s’échapper un peu de lui-même par un biais qui lui semble naturel, la religion. Ce chrétien sincère n’hésite pas à consacrer le plus clair de son temps à la composition de fresques aussi gigantesques que Rédemption ou Les Béatitudes . Car, au fond de lui-même, c’est un romantique dont la passion ne parvient pas à s’exprimer. Il tâtonne pour trouver son cadre, et des œuvres comme Ruth , La Tour de Babel (oratorio inédit, 1865) ou Rédemption (1871-1872) ne seront que des étapes vers le libre épanouissement d’un homme étouffé: Les Béatitudes en sont une première manifestation, mais la véritable explosion survient avec le Quintette avec piano en fa mineur (1878-1879). Le musicien romantique s’est enfin révélé, donnant libre cours à sa passion et laissant passer un souffle dévastateur. Franck s’est affranchi au point de composer une œuvre d’une sensualité étonnante. L’ombre de son élève Augusta Holmès plane sur cette période de sa vie: est-elle la cause de ce revirement? L’éventualité d’une liaison a été souvent avancée, mais l’incertitude demeure. Dans le sillage du Quintette , il donne Le Chasseur maudit (1882), Prélude, choral et fugue pour piano (1884), les Variations symphoniques pour piano et orchestre (1885), la Sonate pour violon et piano (1886), dédiée à Eugène Ysaýe, Psyché (1886), Prélude, aria et finale pour piano (1887), la Symphonie en ré mineur (1886-1888), le Quatuor et les Trois Chorals pour orgue (1890). En dix ans, Franck livre le meilleur de lui-même, revenant d’ailleurs à l’inspiration religieuse pour son ultime œuvre. On regrettera qu’il ait consacré ses derniers efforts à orchestrer son opéra Ghiselle , alors qu’un projet de sonate pour violoncelle et piano l’attendait depuis quelques mois.

Un symphoniste

En 1847, Franck signait un premier poème symphonique, d’après Victor Hugo, Ce qu’on entend sur la montagne . L’œuvre de Liszt qui porte le même titre, publiée seulement en 1857, semble avoit été composée vers 1848-1849. Franck avait des modèles dans les ouvrages de Berlioz, les ouvertures de Mendelssohn ou les symphonies de Spohr, mais jamais avant lui un argument n’avait fait l’objet d’une véritable description musicale: Mendelssohn proposait une succession d’impressions, Berlioz l’évocation d’un être, d’une ambiance, d’une scène. Franck montre une affinité profonde pour Victor Hugo, qui lui servira plusieurs fois de source d’inspiration: deux mélodies (Passez, passez toujours , 1862; Roses et papillons , 1872) et Les Djinns , poème symphonique pour piano et orchestre (1884). Si ce premier essai symphonique n’est pas un coup de maître, la démarche est essentielle car elle innove profondément: au cours des années suivantes, de nombreuses partitions de forme analogue ou apparentée verront le jour, sous la plume de Liszt, Saint-Saëns, Smetana, Dvo face="EU Caron" シák, Moussorgski... Après cette première tentative, Franck attendra près de vingt-cinq ans avant de revenir à l’orchestre avec Rédemption , dont le volet central est un véritable poème symphonique. Libéré d’une certaine contrainte, l’orchestre deviendra une préoccupation constante: seul, en oratorio ou simplement par sa façon de traiter la musique de chambre, le piano ou l’orgue.

Un nouveau cadre

D’un voyage en Languedoc et dans la vallée du Rhône vont naître Les Éolides (1875-1876), d’après le poème de Leconte de Lisle. Cinq ans plus tard, Franck se laisse tenter par une légende de Bürger, dont il va tirer Le Chasseur maudit . La littérature allemande commence à pénétrer les milieux musicaux en France: Duparc s’inspire de Bürger pour composer Lénore , d’Indy emprunte à Schiller le sujet de La Trilogie de Wallenstein . Dans un tel contexte, Franck semble élargir ses centres d’intérêt. C’est l’époque où il découvre Wagner. L’été de 1884, il renoue avec Hugo en puisant le sujet des Djinns dans Les Orientales . Sur le plan formel, Franck innove en ajoutant un piano à l’orchestre: jusqu’alors, les œuvres concertantes étaient surtout des concertos ou des fantaisies. Louis Diémer crée Les Djinns le 15 mars 1885 à la Société nationale. Enthousiasmé par son interprétation, Franck compose les Variations symphoniques à son intention (été de 1885). C’est sa première tentative de musique pure dans le domaine symphonique. C’est aussi la suite logique d’une série de partitions destinées au piano, inaugurée en 1884 avec Prélude, choral et fugue , triptyque dans lequel l’instrument est traité comme un roi, avec une richesse inconnue auparavant: déferlements sonores, superpositions des thèmes qui restent toujours distincts dans une écriture très chargée. À côté de ce concerto pour piano seul, Les Djinns représentent l’équilibre concertant classique alors que les Variations symphoniques permettent au piano de s’intégrer totalement à l’orchestre: trois manières de servir l’instrument.

L’épanouissement

En 1886, Franck revient au poème symphonique avec Psyché , dont Sicart et Louis de Fourcaud lui ont réécrit l’argument: six courtes pages qui forment l’une de ses œuvres les plus parfaites et dont se dégage une atmosphère sensuelle. Tout en achevant Psyché , il commence son ultime œuvre orchestrale, la Symphonie en ré mineur . Aucun argument, seule la musique pure. La concurrence de ses contemporains (Lalo, Saint-Saëns et d’Indy venaient d’écrire leurs symphonies ou y travaillaient) semble l’avoir incité à composer cette symphonie, mais celle-ci est aussi l’aboutissement logique d’une évolution qui devait le mener à se passer d’argument. La musique à programme lui avait permis de se livrer totalement. Avec le Quintette , il s’était montré aussi libre que dans Psyché ; la Sonate pour violon et piano , la Symphonie et le Quatuor n’en sont que les conséquences. L’âme chante librement sans le moindre programme.

La musique d’orgue et la musique religieuse de Franck s’inscrivent dans une évolution beaucoup plus naturelle: musicien d’église, il était normal qu’il s’exprimât sur cette voie. Certes, des inégalités se font sentir, et il est difficile de situer toute sa musique d’orgue au niveau de Prélude, fugue et variations (1862) ou des Trois Chorals (1890). Les Béatitudes ont occupé dix ans de sa vie (1869-1879), car il voulait livrer à la postérité une œuvre parfaite dans un domaine qui lui était particulièrement cher: la puissance et la sincérité de la musique ne peuvent laisser insensible même si la faiblesse du texte en atténue la portée. Est-elle trop révélatrice du «musicien imprégné d’eau bénite»? Chez Franck, deux visages sont indissociables: le chrétien, image trop systématisée, le romantique passionné trouvant dans l’orchestre un moyen d’expression au travers de sujets d’où les notions chrétiennes ne s’écartent que progressivement. L’homme était trop sincère et il semble avoir éprouvé les plus grandes difficultés à laisser libre cours à son tempérament sans mêler ses convictions religieuses à ses élans passionnés. Mais peut-on lui en vouloir?

Encyclopédie Universelle. 2012.

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